1re année de fac: Une véritable vallée de la mort!

- Des taux de redoublement et d’abandon qui restent alarmants
- 59% des étudiants quittent leurs études sans aucun diplôme en poche
Dans les facultés à accès ouvert (droit & économie, lettres & sciences humaines et sciences), la première année est souvent difficile à surmonter. Elle s’apparente à une véritable «vallée de la mort», où une bonne partie des étudiants finit par redoubler ou par abandonner ses études.

Dans certains établissements, jusqu’à plus de 25% des inscrits en première année redoublent. C’est le cas à la faculté de droit Aïn Chock de Casablanca. Et encore, la faculté emblématique de route El Jadida revient de loin. «Auparavant, nous étions à 50% des effectifs», confie son doyen, Abdellatif Komat. En effet, le système modulaire (adopté à partir de 2003) a permis d’atténuer considérablement le taux d’échec. Les étudiants peuvent ainsi passer en deuxième année en validant seulement 50% de leurs modules. Au lieu de refaire toute l’année, ils ne repassent que les épreuves des matières non validées. Selon Komat, grâce à ce système, le taux de réinscription des étudiants, et donc de «fidélisation», s’est nettement amélioré.
Dans les facultés à accès libre de Marrakech, le taux de redoublement à la 1re année varie entre 17 et 22%, selon les filières.
Il y a quelques années (2019), le ministère de l’Enseignement supérieur avait révélé que seuls 13% des étudiants de licence arrivaient à obtenir leur diplôme sans redoubler. «La durée moyenne d’obtention de la licence est de 5 ans pour une bonne majorité», partage pour sa part Abdelhamid Ibn El Farouk, doyen de la faculté des lettres et sciences humaines de Mohammedia.
Parmi les redoublants, certains ne passent pas réellement les examens. Ils se présentent juste pour signer leur présence. «Dans ce cas, ce n’est pas un échec mais un abandon», tient à nuancer Belaïd Bougadir, président de l’université de Marrakech.
Une donne mondiale
Le taux de décrochage reste également élevé. Selon les derniers chiffres partagés par le ministère (2022), le taux de diplomation du cycle licence est autour de 41%. Ce qui signifie que 59% quittent la faculté sans aucun diplôme en poche. A la faculté de droit Aïn Chock, un quart des étudiants de 1ère année abandonne avant même de passer les examens (voir illustration). A Marrakech, 30% des étudiants de l’accès ouvert ne se présentent pas aux épreuves. Pour adapter sa logistique, l’université exige désormais une inscription pour passer les examens.
«Le décrochage en première année est caractéristique de toutes les facultés à accès ouvert dans notre pays, et qui absorbent plus de 80% des effectifs universitaires. Je dirais même que c’est une donne internationale», tient à souligner Komat.
La performance en langues décisive
Dans de nombreuses filières, que ce soit en fac de lettres, droit/économie ou sciences, sont dispensées en français. La mauvaise maîtrise de la langue d’enseignement peut représenter un véritable handicap. Pour le président de l’université de Settat, Abdellatif Moukrim, la maîtrise du français fait partie des facteurs décisifs dans l’échec/abandon universitaires.
Dans les facs de lettres, une question d’attractivité et… de niveau
«Les études littéraires ne jouissent pas vraiment d’une représentation attractive dans l’imaginaire sociétal, et particulièrement chez les parents, soucieux d’abord de garantir à leurs enfants le plus rassurant des avenirs», déplore Abdelhamid Ibn El Farouk. Selon le doyen de la faculté des lettres de Mohammedia, les meilleurs profils de l’accès ouvert se dirigent d’abord vers les filières scientifiques et techniques, ensuite économiques, puis juridiques et enfin littéraires.
Pour Ibn El Farouk, au-delà de la motivation, la réussite universitaire est aussi une question de niveau. Les établissements à accès ouvert, n’exigeant aucune condition à l’entrée (sauf dans de rares exceptions), n’accueillent pas les meilleurs bacheliers. Ces derniers s’orientent d’abord vers les grandes écoles à accès sélectif, les facultés des sciences et techniques et les parcours de médecine & pharmacie. «Nous recevons des profils très moyens, voire moins que moyens», relève le doyen.
Qu’est-ce qui explique cette situation?
Erreur d’orientation, mauvais accueil des étudiants, manque d’attractivité des formations… Qu’est-ce qui explique les niveaux élevés de décrochage et d’échec à la 1re année? Il s’agit en fait d’une conjonction de facteurs. Abdellatif Moukrim, président de l’université de Settat, évoque pour commencer la question de l’orientation. «Souvent, les bacheliers ne prennent pas suffisamment de temps pour choisir leur filière. La sélection n’est pas basée sur un projet professionnel», regrette-t-il.
Pour le président de l’université de Marrakech, la première raison est le «non-choix». Les facultés à accès ouvert sont généralement une orientation par défaut, une sorte de solution en dernier ressort, parfois le temps de trouver mieux. Belaïd Bougadir insiste également sur la massification, rendant impossible un suivi personnalisé des étudiants.
Abdellatif Komat quant à lui souligne l’absence de motivation des étudiants. Un avis partagé par Abdelahamid Ibn El Farouk. Sauf que pour les facultés des lettres, la situation est encore plus compliquée. En effet, elles souffrent d’un sérieux manque d’attractivité, avec des filières réputées sans grand potentiel d’employabilité, mis à part quelques spécialités qui ont le vent en poupe en ce moment. C’est le cas de la psychologie et des études anglaises. Les filières des sciences de l’éducation dispensées il y a quelque trois ans étaient également très prisées. Cependant, les facultés des lettres n’ont plus le droit de les proposer. «La filière histoire par exemple est en perte de vitesse. S’il n’y avait pas le renfort des étudiants fonctionnaires, nous aurions tourné avec une dizaine de nouveaux bacheliers à plein temps», illustre le doyen de la faculté des lettres de Mohammedia. Dans son établissement, la moitié des effectifs est formée d’actifs, notamment de fonctionnaires à l’affût d’un diplôme, dans l’espoir d’améliorer leur situation administrative, voire pour briguer un poste d’enseignant universitaire.
Ahlam NAZIH