Filières eau & environnement: Ce que proposent les universités
En juillet dernier, à l’occasion de son discours du Trône, SM le Roi Mohammed VI lançait un appel pour la création de filières de formation de techniciens spécialisés et d’ingénieurs dans le domaine de l’eau, et particulièrement dans le dessalement. Le Souverain a également insisté sur la nécessité d’innover en matière de gestion de cette ressource précieuse. Dans un contexte de stress hydrique prolongé, l’enjeu est désormais capital. «La période 2018-2022 a été caractérisée par une succession d’années sèches, avec des déficits successifs de 54%, 71%, 59% et 83% par rapport aux apports moyens annuels», selon la Direction générale de l’hydraulique. Les universités ont saisi le message. Plusieurs sont déjà bien positionnées dans la formation et la recherche en eau, depuis maintenant plusieurs années, et elles comptent encore redoubler d’efforts. De nombreuses filières sont proposées en licence, master et cycle ingénieur. Cette rentrée, de nouveaux cursus seront lancés.
■ Tétouan: 1re au niveau national
«Concernant cette thématique de l’eau, nous sommes classés premiers au Maroc par le Times Higher Education, et parmi les 200 à 300 au niveau international», confie Bouchta El Moumni, président de l’Université Abdelmalek Assaâdi (UAE) de Tétouan. En 2023-2024, l’université comptait 3 licences touchant à la problématique de l’eau, de l’environnement et de l’assainissement, en plus de 3 masters et une filière ingénieur proposée à l’ENSA Al Hoceïma. Toutes ont accueilli près de 403 étudiants. D’autres étaient en cours d’accréditation pour cette année 2024-2025. Côté doctorat, quelque 102 thèses sont en cours de préparation à l’université, dont 22 sur le traitement de l’eau et 3 sur le dessalement. L’institution gère en outre 7 projets de recherche dans le domaine, qu’elle finance, et participe à 15 autres nationaux et internationaux. Elle mobilise, par ailleurs, 13 structures de recherche sur le sujet. En termes de production scientifique, ses équipes ont publié 970 articles indexés Scopus et 961 indexés Web Of Science sur cette thématique, et déposé 2 brevets. Enfin, l’UAE gère deux revues indexées, dédiées à l’eau et à l’environnement.
■ Rabat: Formations initiales et continues et 3 centres de recherche
Le Maroc devrait rentrer dans une situation de stress hydrique extrême dans quelques années, s’inquiète Abdelkader Larabi, directeur du Centre régional de l’eau du Maghreb relevant de l’université Mohammed V de Rabat (UM5R). Larabi rappelle que la demande en eau urbaine devrait augmenter de 60% à 100% dans la plupart des grandes villes d’ici 2050. «Les stratégies futures doivent compléter le déficit d’eau en faisant recours aux transferts interbassins et aux ressources non conventionnelles, notamment le dessalement des eaux de mer et saumâtres et la réutilisation des eaux usées épurées», souligne-t-il. L’université historique a donc depuis des années placé la thématique de l’eau parmi ses priorités, que ce soit en termes de formation ou de recherche.
A l’EMI, par exemple, trois sections/options sont spécialisées de façon directe dans les techniques de recherche, d’exploitation, d’aménagement et de gestion des ressources en eau: les Génies Hydrogéologique, Hydraulique et Environnement (traitement des eaux usées). L’école propose aussi une formation en génie des procédés industriels dédiés aux technologies de dessalement de l’eau de mer ou saumâtre. Des sessions de formation continue et des conférences sont également organisées. Des licences et des masters sont en outre proposés dans d’autres établissements de l’université. Au niveau de la recherche, l’UM5R mobilise plusieurs laboratoires travaillant sur la thématique de l’eau, en collaboration avec des universités nationales et internationales, ainsi que des opérateurs industriels et organismes publics (Direction générale de l’hydraulique, OCP, ONEE, Agences de bassins hydrauliques…). Elle compte aussi 3 grands centres de recherche dédiés à l’eau réunissant plusieurs laboratoires et équipes adossés à 3 centres d’études doctorales de l’UM5R (à l’EMI, à la fac des sciences et à celle des lettres).
■ Marrakech: Des spécialités allant de la prospection à la récupération
Située dans une zone en stress hydrique, l’Université Cadi Ayyad (UCA) de Marrakech ne pouvait pas ignorer la problématique de l’eau. «Nous avons depuis des années développé des filières, des laboratoires et instituts dédiés, et même un Centre national d’études et de recherche sur l’eau et l’énergie», relève Belaid Bougadir, président. «Nous nous intéressons à toute la chaîne, de la prospection géologique à l’assainissement, en passant par les méthodes d’utilisation», explique-t-il. Au-delà de l’aspect scientifique et technique, la question est également appréhendée sous le prisme des sciences humaines et sociales (aspect comportemental, éthique, réglementation…).
4 filières de licence et 3 de master ont été proposées en 2023-2024 dans divers établissements (fac des sciences, fac de lettres et fac des sciences et techniques), avec un total de 1.156 étudiants.
En matière de recherche, l’UCA consacre plusieurs laboratoires à la thématique de l’eau. Elle participe également à des projets de recherche nationaux et internationaux (ERANETMED, PRIMA, et HORIZON 2020…). Cet engagement se tradui t par des centaines de productions scientifiques sur le sujet. A ce jour, 1.084 publications scientifiques et une vingtaine d’ouvrages ont été publiés, en plus d’une centaine de thèses de doctorats.
L’UCA est, par ailleurs, signataire de plusieurs accords avec des collectivités territoriales, pour la réalisation de stations d’assainissement et le développement de solutions innovantes, dont un filtre d’eau naturel, «Ecobiofiltre».
■ Casablanca: De nombreux projets de filières
L’Université Hassan II de Casablanca (UH2C) porte 13 projets de nouvelles filières en lien avec l’eau et les énergies renouvelables, disséminés sur une demi-douzaine d’établissements. Elles comprennent 9 masters, 1 licence et 3 diplômes d’ingénieur, qui se rajoutent à 5 licences et deux masters déjà ouverts. L’institution se positionne ainsi en force sur la formation dans le domaine. En termes de recherche, l’UH2C est déjà bien avancée, avec pas moins de 31 laboratoires travaillant sur la thématique de l’eau, et 108 thèses de doctorat. De 2014 à 2023, quelque 11 brevets protégeant des procédés et solutions liés à l’eau ont été déposés. En matière de productions scientifiques, entre janvier 2021 et janvier 2023, environ 231 articles ont été publiés dans des revues et journaux indexés. Au cours de trois dernières années, l’université a financé 9 projets de recherche dédiés, menés avec des partenaires nationaux et internationaux.
■ Le cycle ingénieur reçoit le plus d’inscrits
Le tout premier institut thématique de recherche dédié à l’eau
- Toutes les universités publiques en sont membres
- Objectif: fédérer les efforts au niveau national et tirer vers l’excellence
Dans sa stratégie 2030 (PACTE ESRI), le ministère de l’Enseignement supérieur prévoit des instituts thématiques de recherche, consacrés à des domaines «prioritaire et/ou de souveraineté» pour le Maroc. Le tout premier a été dédié à l’eau.
Le projet a pris forme après plus d’un an et demi de travail avec les différents partenaires. Juridiquement, il n’est pas encore totalement verrouillé, «mais les moyens et les ressources sont déjà affectés», selon Hamid Bouabid, directeur de la recherche scientifique et de l’innovation. L’institut a pour mission de coordonner et de développer des activités de recherche de pointe dans le domaine de l’eau, à travers les structures de recherche qui y sont affiliées, et de mener des activités d’innovation et de transfert de technologie. Il peut également opérer des prestations de services pour le compte d’acteurs nationaux et internationaux.
18% de la production scientifique nationale
«L’institut est censé rehausser la qualité de la recherche et fédérer les efforts au niveau national. Il devra participer jusqu’au bout de la chaîne de valeur, pour traduire les résultats scientifiques en valeurs économique et sociale», souligne Bouabid. Monté sous forme de groupement d’intérêt public, il compte plusieurs membres fondateurs, dont l’ensemble des universités publiques, des écoles publiques non universitaires (EHTP, INRA, IAV…), les ministères de l’Equipement et de l’Eau, des Finances et de l’Agriculture, ainsi que des organismes comme l’ONEE. Bank Of Africa fait également partie des partenaires. Cependant, n’est pas membre qui veut. Seules les structures jugées «performantes» seront fédérées. «Pour devenir membre, il faudra remplir les critères qui seront arrêtés, et être accrédité par une partie externe», précise Bouabid. Parmi les structures de recherche universitaires, 11 sont déjà qualifiées de «performantes», tandis que 16 autres le sont potentiellement. Il faudra également faire ses preuves pour garder sa place. Les structures membres depuis 3 ou 4 ans devront se soumettre à un audit d’accréditation. Ils ne pourront rester membres que si le résultat est positif.
Le siège de l’institut est à Agadir. Le choix de la région a été arrêté après évaluation de plusieurs critères, dont la qualité des structures de recherche, la disponibilité des infra-structures techniques et technologiques et le nombre de chercheurs. La région accueille, en outre, un grand bassin agricole, et abrite deux grandes stations de traitement des eaux usées. S’ajoute à cela, la présence à Chtouka Aït Baha d’une station de dessalement de l’eau de mer.
«Nous sommes à un stade très mature de développement de la recherche dans le domaine de l’eau, nous avons des brevets concrets et des projets valorisés», assure le directeur de la recherche scientifique et de l’innovation. Actuellement, 22 projets de recherche nationaux sur le thème de l’eau et 36 dans le cadre d’appels à projets internationaux sont menés. Dans les universités, un total de 6 centres et 63 laboratoires sont mobilisés.
Ahlam NAZIH