Economie, gestion, finance : Non, on ne peut se passer des maths!
- Les filières économiques, plus proches des sciences dures que de la littérature
- Les mathématiques «à la base de la microéconomie»
Les facultés des sciences juridiques, économiques et sociales sont celles qui accueillent le plus d’étudiants selon les chiffres du ministère de l’Enseignement supérieur. Elles reçoivent 60% des effectifs des facultés à accès ouvert. Si certains justifient d’un baccalauréat en sciences économiques et gestion, d’autres se sont réorientés. Parmi ceux qui s’inscrivent en économie, l’on peut compter des bacheliers ayant suivi des filières scientifiques pures et dures, mais aussi des littéraires. Ces derniers justement, qui ne sont pas forcément performants en mathématiques, peuvent-ils faire des études en économie?
Pour ceux qui pensent que l’économie et la gestion c’est de la littérature, détrompez-vous!
Dans le système français, les élèves du lycée peuvent choisir leurs matières à la dernière année. Parmi ceux ayant opté pour les sciences économiques et sociales (SES), certains «se débarrassent» des maths pensant ne pas en avoir besoin dans le supérieur. Grave erreur. Walid, bachelier du lycée Lyautey de Casablanca, en a fait les frais. Après avoir décroché une place dans un prestigieux institut d’économie en France l’année dernière, il s’est heurté à des cours faisant appel à des mathématiques poussées. Incapable de suivre le rythme, il a raté son année, et a été contraint de se réorienter. «Je ne pensais pas que dans un parcours d’économie ou de gestion il fallait justifier d’une bonne maîtrise des maths. Pourtant, au lycée mes profs m’avaient assuré que je pourrai suivre cette filière…», confie-t-il.
Fatima Berrada, enseignante-chercheuse en finance au groupe des Hautes études des sciences et techniques de l’ingénierie et du management (Hestim) à Casablanca, remarque «beaucoup d’élèves avec des lacunes en mathématiques». Elle estime que l’on «ne peut mener des études en finance sans les maths». Parmi les élèves qui se sont réorientés dans cette filière, Fatima Berrada souligne deux types. D’abord, ceux issus de filières scientifiques (physique, biologie). «Ceux-là s’adaptent plus facilement», explique l’enseignante, «puisque la méthode de raisonnement qu’ils ont pratiquée dans les sciences dures est en quelque sorte la même pour l’économie, et que leur esprit d’analyse est plus poussé». Pour le deuxième groupe, ceux issus d’une formation littéraire, «c’est là où il y a le plus de difficultés».
A l’Hestim, des cours de mathématiques sont dispensés durant les deux premières années de formation. Cela n’est pas assez pour Fatima Berrada. L’enseignante soutient qu’il faudrait que les étudiants soient confrontés aux maths durant toute leur scolarité.
Les mathématiques sont en effet primordiales en économie. Pour Fouzi Mourji, professeur d’économétrie à l’université Hassan II de Casablanca, elles sont «à la base de la microéconomie», qui analyse le comportement des agents économiques (consommateurs, ménages, entreprises, etc.). A l’aide des mathématiques appliquées, il est même possible pour les traders de prédire l’évolution de la Bourse. Concernant les investissements directs étrangers (IDE), les maths sont là aussi très importantes, car les entreprises vont, selon Mourji, «étudier différentes données mathématiques pour chaque pays»: à savoir la fiscalité, le coût du travail, le prix du foncier, ou encore la qualité des infrastructures entre autres, afin de choisir au mieux où se positionner.
«On retrouve même des théories en économie empruntées à la physique, comme l’effet d’hystérésis», appuie Mourji. Ce concept montre par exemple qu’une barre de fer chauffée, qui s’allonge avec la chaleur, ne reprendra pas exactement sa forme initiale une fois refroidie, car elle gardera en quelque sorte en mémoire le moment où elle était plus longue. «Ce concept, explique Mourji, est applicable en économie, et peut par exemple permettre d’étudier l’évolution du chômage». Un taux à 10%, qui grimpe à 20% en situation de crise, ne retombera pas exactement à 10% une fois la crise réglée. Il restera un peu plus élevé, parce que les employeurs auront gardé en mémoire cette crise et seront ainsi plus réticents à embaucher de nouveau.
Dans certaines spécialités, on peut quand même s’en sortir…
Si les mathématiques semblent indispensables pour comprendre l’économie et la finance, cela reste tout de même possible de faire carrière dans ce secteur en n’utilisant que très peu de maths, d’après Mourji. «Il y a quelques métiers où l’on peut se passer de théories mathématiques complexes. Les comptables, par exemple, peuvent très bien s’en sortir avec des rudiments en mathématiques, acquis dès la primaire ou le collège». La technologie vient, en outre, simplifier plusieurs tâches.
Elles s’étendent à d’autres secteurs
Au-delà de l’économie, les mathématiques peuvent être appliquées à bien d’autres secteurs. «Nous retrouvons les maths par exemple en sociologie», illustre Fouzi Mourji. L’école de Chicago, un courant de pensée apparu au début du siècle dernier, étudie grâce à des bases de données sur des individus la probabilité que quelqu’un commette un crime ou une récidive.
D’après Mourji, «même en droit international, l’on utilise les mathématiques». Moins dans les formules cette fois, mais plus dans le raisonnement. La méthode mathématique peut également être employée dans la vie de tous les jours, afin de «décomposer un problème quel qu’il soit, en étudiant étape par étape les contraintes qu’il apporte et les solutions envisageables pour le résoudre», selon l’enseignant-chercheur. Pour Fatima Berrada, l’apport des mathématiques dans la vie de tous les jours, que ce soit dans nos façons de raisonner ou dans les objets que nous possédons, «est très présent, mais n’est pas toujours visible ou remarqué».
Théo BOISSONNEAU (Journaliste stagiaire)