Digital vs numérique : Quel sens derrière le jargon?
- Un vocabulaire qui perd les néophytes
- Un débat interminable chez les informaticiens
Si l’on suit la définition du Larousse, digitalisation et numérisation sont des synonymes exprimant la même idée. Mais au sein du monde de l’informatique, la différence entre ces deux mots peut faire débat. Mohamed Dahchour, directeur adjoint des études à l’INPT, comprend bien la difficulté pour appréhender ces termes faisant partie d’un même «monde» qu’il résume par le mot suivant: l’informatisation. Ce vocable plus général induit quant à lui de transformer un processus (d’une entreprise par exemple), d’automatiser des tâches.
Hamza Chami, étudiant à l’Ensam de Meknès, propose une définition beaucoup plus philosophique de la chose: «le digital, c’est l’art de faire parler une machine. Elle transmet des données qui nous en apprennent plus sur un domaine donné».
Et d’un point de vue étymologique, si l’on se penche sur les racines digitales et numériques, quels indices supplémentaires nous donnent ces mots? L’adjectif digital signifie «qui appartient aux doigts, se rapporte aux doigts». Il tient son origine du latin digitalis, «qui a l’épaisseur d’un doigt», lui-même dérivé de digitus, «doigt». Numérique, quant à lui, est issu du latin numerus, «qui est relatif aux nombres». Dans son sens le plus commun, il désigne tout ce qui fait appel à des systèmes électroniques basés sur le langage binaire.
L’un ne va pas sans l’autre
Le numérique se réfère généralement au fait de traiter de l’information sous forme de données chiffrées. Tandis que digital est souvent utilisé pour désigner des phénomènes liés à l’ère du numérique, tels que la digitalisation des entreprises ou encore le marketing digital. Mohamed Dachour, résume cela plus simplement. La numérisation ferait référence au fait de mettre en ligne, de «numériser» des données qui étaient alors accessibles uniquement au format physique, c’est-à-dire un livre par exemple. La digitalisation serait quant à elle plus liée à l’exploitation de ces données en ligne. De ce fait, l’un ne va pas sans l’autre. Sans numérisation au préalable, la digitalisation n’existerait pas. «La numérisation, c’est la porte d’entrée vers la digitalisation», résume-t-il simplement.
Une «guéguerre» vaine?
Ce simple questionnement sur le réel sens de ces mots peut parfois engendrer des désaccords. Une lutte chronophage, qui n’est pas au goût de tous les professionnels du milieu.
Rachid Guerraoui, informaticien, professeur à la prestigieuse École Polytechnique de Lausanne en Suisse (EPFL), où il dirige le laboratoire d’algorithmique distribuée, est las de ces débats sans fin. Cette «guéguerre sur les mots» ne serait qu’une perte de temps, selon lui. Sa définition de la digitalisation est la suivante: «C’est l’informatisation d’un processus de travail». «Digitalisation, numérisation… Tous ces termes veulent dire la même chose: traiter des éléments par le biais d’ordinateurs».
En 2021, la commission d’enrichissement de la langue française a publié un rapport dans lequel elle déclare que «digital» se traduit bien en français par «numérique».
Digital: Un mot «cache-misère» pour certaines écoles
Comme tous ces anglissimes qui débarquent du jour au lendemain sur le marché, et deviennent le leitmotiv de tout entrepreneur qui se respecte, le mot digital peut parfois sembler être une vaste «fumisterie». Certaines écoles peuvent user de ce mot mal compris par beaucoup, mais qui semble très professionnel, pour donner un coup de neuf aux noms de leurs formations. Cela a pour effet de les rendre plus attractives. En témoignage par exemple les nombreuses formations en marketing digital, qui font légions en France, et qui au final sont très similaires aux formations en marketing classique. Il convient alors encore une fois de ne pas se fier aveuglément à de simples mentions, qui, il faut le dire, suivent parfois des tendances et ne sont en aucun cas gage d’une qualité ou d’une différence.
Des termes de plus en plus présents dans le langage commun
Bien qu’encore nébuleux dans l’esprit d’une bonne partie de la population, ces mots sont tout de même amenés à être de plus en plus présents dans la société. Le terme digitalisation a de quoi séduire beaucoup les nouvelles générations, et s’ancre parfaitement dans la dynamique de renouveau de bon nombre d’entreprises. Au Maroc, ce secteur est en plein développement, parfois insuffisant sur certains points, et parfois excellent sur d’autres. La gestion de la vaccination lors du Covid, qui a grandement impressionné Rachid Guerraoui, en est un parfait exemple. «La vaccination contre le Covid a été prise en charge d’une manière incroyable grâce au numérique. Il n’y a pas énormément de pays dans le monde qui s’en sont aussi bien sortis».
Le Royaume mise d’ailleurs beaucoup sur le développement de ce secteur. En témoigne la création de l’Agence de développement du digital (ADD) en 2017. L’ADD est sous la tutelle du ministère de la Transition numérique. Elle a pour but d’une part de développer les technologies du digital, mais également d’accompagner la population dans cette nouvelle ère.
Mathieu OZANNE (journaliste stagiaire)