Formation continue universitaire: Tout est à refaire!
- Le ministère travaille sur une «politique nationale» pour réformer ce segment
- Vers la création de structures dédiées aux cursus destinés aux professionnels
L’année 2024-2025 sera celle de la réforme de la formation continue universitaire. Le projet sera déployé progressivement, selon le ministre de l’Enseignement supérieur, Abdellatif Miraoui. Tous les diagnostics l’ont confirmé, l’offre universitaire à l’intention des professionnels traîne de nombreux dysfonctionnements, faisant essuyer un manque à gagner considérable aux universités. Le ministre nous livre les détails de sa vision.
– L’Economiste: Pour vous, tout le dispositif de formation continue dans les universités est à revoir. Pour quelle raison?
– Abdellatif Miraoui: Tout d’abord, je voudrais souligner un point fondamental en rapport avec la place de la formation continue au sein du modèle de l’université marocaine, porté par le PACTE ESRI-2030. Ce modèle prône la capacitation et la résilience du capital humain, en alignement avec les hautes orientations de SM le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste. Au sein de ce modèle, une grande importance est attribuée à la mission de l’université en tant qu’espace de formation tout au long de la vie. Les mutations accélérées auxquelles nous assistons aujourd’hui dans plusieurs domaines, en lien notamment avec l’essor des technologies digitales, induisent des changements profonds dans la nature des métiers et des compétences requises par le marché de l’emploi. Le passage à l’université deviendrait alors récurrent, soit pour obtenir des certifications, acquérir de nouvelles qualifications ou carrément pour préparer un autre diplôme. Les portes de l’université devraient rester ouvertes à tous et à tout âge.
– L’université ne remplit-elle donc pas cette mission aujourd’hui?
– Nous avons en fait mené un examen profond sur la situation de la formation continue au sein de l’université marocaine. Notre objectif est d’asseoir les bases solides d’une gouvernance efficiente du dispositif de la formation continue, avec tout ce que cela requiert en termes d’adaptation et d’ajustements sur les plans réglementaire, pédagogique, managérial, organisationnel et financier. Outre l’alignement par rapport à la vision du PACTE ESRI-2030, la révision multidimensionnelle du dispositif de formation continue s’avère nécessaire. Cela permettra de résorber les dysfonctionnements relevés en la matière, et qui s’érigent en obstacle majeur à la maximisation de l’impact de la formation continue.
– Quels sont les principaux dysfonctionnements?
– Pour ne citer que les plus saillants, ces dysfonctionnements tels que révélés par certaines évaluations (rapport de la Cour des comptes, mission effectuée par une commission ad hoc du ministère de l’Enseignement supérieur…), se rapportent principalement à des insuffisances d’ordre juridique et réglementaire régissant la formation continue. Elles sont aggravées par la faiblesse des mécanismes de régulation, de pilotage et d’évaluation au niveau national et au niveau de chaque université. Cela comprend aussi l’absence d’une vision claire relayée par des plans de développement de ce type de formation. D’autres insuffisances ont été également mises en relief. Il s’agit, en l’occurrence, de la faible cohérence avec les formations initiales (duplication des mêmes formations). Nous avons aussi relevé une adéquation limitée des programmes de formation continue par rapport aux besoins sans cesse croissants des secteurs socioéconomiques en compétences hautement qualifiées, et en phase avec les mutations du marché de l’emploi.
– Quelles seraient les pistes à explorer pour la réforme?
– Comme je l’ai souligné dans mes propos introductifs, la formation continue revêt désormais une place de choix au sein de l’offre de formation à l’échelle universitaire. Nous travaillons d’arrache-pied pour parachever l’ossature d’une politique nationale structurée en la matière, seule à même d’organiser la formation continue au sein des universités, en relever l’efficience et en maximiser l’impact en termes de capacitation du capital humain de notre pays.
– Quand est-ce que ce chantier pourrait démarrer?
– Concernant le démarrage de ce projet, nous l’avons inscrit parmi les chantiers phares de la rentrée universitaire 2024-2025. Sa mise en œuvre sera graduelle et pourra, éventuellement, s’appuyer sur des projets pilotes avant leur généralisation à l’échelle de toutes les universités publiques.
Propos recueillis par Ahlam NAZIH
Trois leviers à mettre en place
– Avez-vous déjà les grands axes de cette politique nationale?
– Dans le cadre de l’élaboration de cette politique intégrée, nous avons mis l’accent sur trois leviers importants, qui constituent dans leur substrat une réponse appropriée aux multiples dysfonctionnements du dispositif actuel de la formation continue. Le premier levier a trait au renforcement du cadre juridique, moyennant l’ancrage de la formation continue dans les dispositions du nouveau projet de loi sur l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation, en cours de finalisation. Le second porte sur l’ancrage institutionnel de la mission de la formation continue au sein de l’université. Ceci, moyennant la mise en place de structures qui y sont dédiées, dotées d’un statut juridique approprié, de nature à favoriser une gestion optimisée des ressources et à renforcer le dispositif de suivi-évaluation. Le troisième levier concerne l’alignement de l’offre de formation continue sur les priorités de développement, et sur les besoins des secteurs socioéconomiques à l’échelle territoriale.
Un potentiel sous-exploité
Toutes les universités ne sont pas positionnées avec la même force sur la formation continue. Pour certaines, les insuffisances liées à la réglementation et la gouvernance de ce segment est un frein évident à son développement. Elles préfèrent ainsi s’y inscrire à petites doses. Sans compter qu’aujourd’hui la concurrence avec le secteur privé bat son plein, surtout avec les écoles et universités payantes reconnues par l’Etat, et pouvant délivrer des diplômes nationaux. Un avantage auquel le public ne peut toujours pas prétendre, puisqu’il ne peut octroyer que des diplômes d’université (DU). Certaines grandes écoles et facultés publiques sont très actives dans le domaine, ce qui leur permet de doper leurs recettes de manière considérable, engrangeant ainsi plusieurs dizaines de millions de dirhams par an.