Ecoles d’ingénieurs non universitaires: Plus riches et plus agiles?
- EHTP, Ecole des mines, IAV, AIAC, INPT… présentent des particularités
- Jusqu’à plus de 100 millions de DH de budget, contre 3 à 5 pour les autres
Les grandes écoles d’ingénieurs publiques ne relevant pas du ministère de l’Enseignement supérieur, et donc non rattachées à des universités, ont commencé à être créées il y a de cela plusieurs décennies. Elles ont été lancées par différents départements ministériels (par décret) et organismes publics, afin de répondre à des besoins précis en formation.
«Ce sont les vitrines académiques de ces ministères», relève Mohamed El Wafiq, directeur de l’Académie internationale Mohammed VI de l’aviation civile (AIAC). Cela dit, certains les perçoivent comme une «anomalie», car pour eux, tous les établissements du supérieur devraient être placés sous une même tutelle.
L’ancien ministre en charge de l’Enseignement supérieur, Lahcen Daoudi, avait fait part, en 2014, de sa volonté de récupérer ces écoles, qui figurent parmi les plus prestigieuses au Maroc, dont l’Ecole des mines de Rabat (ministère de la Transition énergétique), l’EHTP (Equipement), l’INPT (ANRT), l’IAV (Agriculture), l’AIAC (Equipement), INSEA (Haut-Commissariat au Plan)… La mesure avait même été prévue dans le projet de réforme de la loi 01-00 régissant le secteur. L’«OPA» de Daoudi sur ces établissements n’a, cependant, pas été bien accueillie, et le projet n’a jamais abouti. Mais qu’est-ce qui distingue au juste ces écoles par rapport à celles relevant d’universités?
■ Un seul concours
En matière de sélection des étudiants, pas de différence. Toutes les grandes écoles, quelle que soit leur tutelle, recrutent leurs étudiants principalement via le Concours national commun (CNC), ouvert aux élèves des prépas (bac+2). «En ce qui concerne les aspects pédagogiques et les accréditations des filières, nous obéissons aux exigences du ministère de l’Enseignement supérieur», précise Aziz El Hraiki, directeur de l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan-II (IAV).
Quoique, il existe une petite différence au niveau des accréditations. «Après la validation de l’offre de formation par le conseil d’établissement, elle doit passer par un conseil de coordination où sont représentées toutes les écoles d’ingénieurs ne relevant pas des universités pour avis. Ce n’est qu’après qu’elle est soumise à la Commission nationale de coordinations de l’enseignement supérieur (Cnaces)», indique Omar Oussouaddi, directeur de l’Ecole nationale supérieure des mines de Rabat (ENSMR).
■ Une prise de décision plus simple
Au niveau de leur organisation, les établissements ne relevant pas des universités fonctionnent avec un conseil d’établissement appuyé par des commissions, à l’instar des autres. «Toutefois, au lieu du conseil d’université, nous avons un conseil d’administration présidé par notre ministre», souligne Oussouaddi. Ils échappent ainsi aux conseils d’université pléthoriques, où la prise de décision est parfois laborieuse. «La plus grande différence est que les écoles universitaires n’ont qu’un pouvoir de proposition concernant leur gestion, et que toutes les décisions sont prises par le conseil de l’université. Quant à nous, la gestion est conférée au conseil d’administration, sur proposition du conseil d’établissement», indique Jaouad Boutahar, directeur de l’EHTP.
Selon lui, les directeurs des écoles non universitaires, qui jouissent d’une personnalité morale et d’une autonomie financière, bénéficient de «pouvoirs plus étendus sur la gestion administrative, financière et pédagogique». Evidemment, dans le respect des lois en vigueur (01-00 et 39-13).
■ Des finances qui font rêver
Le plus grand avantage de ce type d’école est sans doute celui de leurs finances. Leurs budgets leur sont octroyés par leurs départements de tutelle et non par l’Enseignement supérieur. Et elles jouissent d’enveloppes beaucoup plus consistantes. Certaines reçoivent entre 80 et 100 millions de DH par an, voire plus.
Des montants qui font rêver les écoles d’ingénieurs relevant des universités, et qui n’ont droit qu’à de maigres sommes, en moyenne allant de 3 à 5 millions de DH (hors l’EMI, l’école historique, qui bénéficie d’un budget fléché). Les mieux loties peuvent monter à 8 millions de DH (car elles gèrent des effectifs importants).
Cela dit, les grandes écoles non universitaires ont une particularité, celle de payer elles-mêmes leurs enseignants (la grille salariale est la même que celle des enseignants universitaires) et leurs personnels administratifs et techniques.
Elles se chargent aussi des frais liés à leurs internats (hébergement et restauration) et versent elles-mêmes des bourses à leurs étudiants. Cela accapare une grosse partie de leurs finances.
A l’Ecole des mines, les salaires pèsent pour 50% du budget de fonctionnement. Avec toutes ses charges, l’établissement, qui a fêté ses 50 ans l’an dernier, rencontre aujourd’hui des difficultés à mettre à niveau ses infrastructures et équipements. Il essaie de compenser avec des recettes propres, mais cela ne suffit pas, selon son directeur. «Néanmoins, les budgets de ces écoles restent confortables. S’il ne leur reste que 20 millions de DH au final, ils peuvent en faire des exploits», pense un enseignant-chercheur.
«Pas de rivalités…»
Le prestige d’une école dépend de son histoire, de son corps enseignant, de son réseau d’alumni, du taux d’insertion professionnelle de ses diplômés… «C’est au final le marché qui décide», selon le directeur de l’ENSMR, Omar Oussouaddi. Et avant de choisir leur école, les étudiants regardent bien les plus et les moins de chaque établissement. Les écoles d’ingénieurs universitaires et non universitaires ont toutes des arguments à faire valoir, néanmoins, existe-t-il des rivalités entre les deux. «Je dirais que nous sommes plus dans un esprit de complémentarité, puisque nous travaillons chacune dans un champ d’activité différent. Pour notre part, nous ouvrons nos laboratoires et nos installations aux étudiants de toutes les écoles», relève le directeur de l’IAV, Aziz El Hraiki. Même son de cloche du côté de l’EMI. «Il n’y a pas vraiment de compétition, nous sommes plus partenaires», nous confie son directeur, Hassane Mahmoudi.
Des filières uniques
Pour alimenter leurs secteurs respectifs en compétences, les écoles d’ingénieurs non universitaires proposent parfois des spécialités uniques en leur genre au Maroc. L’AIAC est, par exemple, la seule école livrant des experts en contrôle de la navigation aérienne, et en électronique de la sécurité aérienne. Cela garantit, d’ailleurs, des taux d’insertion professionnelle allant de 95 à 100%. Du côté de l’IAV, la formation, qui se déroule à 50% sur le terrain, est conçue sur la base de la stratégie de développement du secteur agricole, et vient répondre à ses besoins en compétences.
14 établissements relevant de différents ministères
Il existe quelque 14 écoles d’ingénieurs publiques ne relevant pas des universités. En 2022-2023, elles ont accueilli plus de 9.200 étudiants, dont plus de la moitié sont des filles, avec une part de 4,5% d’internationaux. Dans certaines écoles, la part des étudiants étrangers dépasse le quart (cas de l’école nationale forestière d’ingénieurs de Salé). En 2022, elles ont diplômé 2.584 lauréats, dont 48,3% de filles et presque 5% d’internationaux. Les écoles d’ingénieurs universitaires, elles, sont au nombre de 19, dont 13 ENSA (Ecoles nationales des sciences appliquées). L’an dernier, elles ont inscrit 26.549 étudiants, dont 51,4% de filles et 2,9% d’internationaux. En 2022, elles ont diplômé 4.527 étudiants.
Ahlam NAZIH