Actualités

Grandes écoles, facs de médecine… gratuites, mais pas pour les pauvres?

  • Moins de 15% des étudiants issus de couches démunies
  • La nature du concours parfois discriminatoire pour les plus défavorisés
  • Logement, restauration, transport… les autres freins
facs-de-medecine-10.gif
Dans les écoles et facultés à accès sélectif, il existe de moins en moins de mixité sociale (Ph. L’Economiste)

Les écoles d’ingénieurs et de commerce publiques, ainsi que les facs de médecine & pharmacie et de dentaire étatiques sont en principe gratuites et ouvertes à tous. Et pourtant on n’y trouve que très peu d’étudiants issus de classes défavorisées. Selon le ministre de l’Enseignement supérieur, Abdellatif Miraoui, moins de 15% des étudiants en médecine et moins de 13% de ceux des Ecoles nationales de commerce et de gestion (ENCG) viennent de milieux démunis (et donc boursiers). Et l’on retrouve pratiquement la même proportion dans les cursus d’ingénieurs publics, selon Ahmed Mouchtachi, président de l’université de Meknès, et coordinateur du réseau des écoles d’ingénieurs au Maroc.
Existe-t-il des barrières à l’entrée qui se dressent face à ces étudiants nés du mauvais côté? Ou bien s’agit-il du résultat de toute une trajectoire démarrant dans une école primaire/secondaire publique défaillante? Une école se «régulant par le rejet» pour ceux ne pouvant se payer des cours de soutien, ou compter sur une assistance rapprochée de leurs parents…

Les ENCG particulièrement concernées

«Dans les ENCG, la nature du concours défavorise les jeunes originaires du monde rural ou de classes démunies», relève Abdelhak Sahib Eddine, directeur de l’ENCG d’El Jadida. En effet, le Test d’admissibilité à la formation en management (TAFEM), conditionnant l’accès à ces business schools publiques, comprend des tests de langues et de culture générale, en plus de ceux de mémorisation et d’arithmétique. Les jeunes peu exposés aux langues étrangères dans leur milieu, ou n’ayant pas eu l’opportunité d’enrichir leur culture générale, vu leur conditions difficiles, n’ont donc que très peu de chances de réussir le concours. D’autant plus que la compétition pour l’accès aux ENCG est rude, ce qui pousse les parents à investir massivement dans des séances de préparation au concours. «Le tarif peut varier de 2.000 à 8.000 DH, selon les villes, et le contenu du pack proposé. Les meilleurs centres de préparation se trouvent évidemment dans les grandes villes», précise Sahib Eddine. Les bacheliers des classes moyennes, moyennes supérieures et aisées mettent ainsi toutes les chances de leurs côtés pour être pris, contrairement aux jeunes défavorisés.
Avant 2013, le concours des ENCG comprenait un entretien oral. Cela permettait aux écoles de repêcher des étudiants excellents dans les disciplines scientifiques, mais pas bons en langues. «Ceux dont on jugeait les prérequis solides, nous leur donnions une chance de travailler leurs soft skills au fur et à mesure de leurs études. Aujourd’hui, ce n’est pas possible», confie le directeur de l’ENCG d’El Jadida. Or, la suppression de l’oral en 2013 avait justement pour objectif de garantir plus «d’équité».
Faut-il alors totalement supprimer le Tafem, organisé généralement au-delà du 20 juillet (ouverture des candidatures à partir de juin), pour ne garder que la note du bac? Non, selon Abdelhak Sahib Eddine, qui opte pour le maintien de ce filtre, tout en le révisant.

Jusqu’à 30.000 DH pour se préparer aux épreuves

Outre les concours, les étudiants démunis se heurtent à la barrière du financement. Sans logement universitaire, difficile pour eux d’assumer des frais d’hébergement, de restauration, de transport, surtout dans les grandes villes, ou encore de s’acquitter de frais télécoms ou de s’offrir une connexion internet.
Dans les facultés de médecine, la mixité sociale est aussi de moins en moins prononcée, selon un professeur de médecine à Rabat, contacté par L’Economiste. Pour lui, ces établissements comptent, par ailleurs, de plus en plus de bacheliers issus d’écoles privées.
«Aujourd’hui tout le monde est informé des concours, et la compétition devient très rude. Les aspirations des familles s’expriment et tout le monde veut participer», souligne-t-il. Selon le professeur, les facs de médecine, plus nombreuses, se sont également rapprochées des étudiants. Si avant il fallait parcourir jusqu’à 700 km pour s’inscrire à Casablanca ou Rabat, actuellement, au pire la distance est de près de 150 km. «Les parents investissent dans la préparation des concours de plusieurs filières pour leurs enfants, et ramènent même des profs à la maison. Le coût peut aller à 20.000 voire 30.000 DH», avance le professeur. Les mieux préparés ont donc forcément une plus grande probabilité d’être pris.
Les plus aisés ont, en outre, l’opportunité de se déplacer dans plusieurs villes pour passer différents concours, contrairement aux plus démunis.

Reproduction sociale

Il est clair que plus on a de moyens, plus on a de chances d’intégrer un établissement à accès sélectif, ce qui favorise un phénomène de reproduction sociale. Un étudiant de famille pauvre n’aura que très peu de perspective d’avenir, et n’ira pas forcément plus loin que ses parents. Selon le mémorandum de la Banque mondiale de 2017 sur le Maroc, les chances d’un fils d’ouvrier de devenir employeur non agricole sont de seulement 1,9%. L’origine sociale est donc décisive.

Il abandonne son cursus ingénieur pour travailler dans un four traditionnel

four-traditionnel-10.gif

Certains étudiants sont contraints d’abandonner leur cursus, après avoir réussi le concours, faute de moyens. «Ils possèdent les capacités intellectuelles, mais pas les moyens matériels. Ce fut le cas de l’un de mes étudiants à l’Ensam de Casablanca, qui a quitté l’école pour partir travailler dans un four traditionnel à El Jadida. Il avait déjà abandonné une autre grande école pour travailler dans la maçonnerie. Nous avons heureusement pu le récupérer, grâce à l’assistance d’une association que nous avons créée, Ensam Casablanca support student», témoigne Ahmed Mouchtachi. Aujourd’hui, il reprend le même modèle au niveau de l’université de Meknès, qu’il préside depuis octobre 2023.

Ahlam NAZIH

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page