Egalité des chances: Supprimer les concours, une piste, mais pas la solution miracle
- Risque de créer de nouvelles inégalités
- Veiller à la diversité des profils et des voies d’accès
L’idée de se passer des concours d’accès aux établissements post-bac mûrit depuis de nombreuses années. L’ancien ministre, Lahcen Daoudi, en parlait en 2015 déjà. Son successeur, Saaïd Amzazi (2018-2021), y était également favorable, au même titre que l’actuel ministre, Abdellatif Miraoui. En se débarrassant des concours, qui, soit dit en passant, sont également coûteux et énergivores pour les établissements, réglera-t-on le problème d’iniquité qu’ils posent?
Leur suppression permettrait, en effet, de privilégier une sélection sur la base du mérite au lieu de l’origine sociale. D’autant plus qu’actuellement, si l’on prend le cas de la médecine, les bacheliers avec une moyenne entre 12/20 et 14/20 réussissant le concours ne représentent que 1,5 à 2% du total, selon Abdellatif Miraoui. «Nous avons déjà réalisé des études pour comparer les résultats du bac avec ceux des concours, et à chaque fois la corrélation était parfaite», relève Ahmed Mouchtachi, président de l’université de Meknès, également coordinateur du réseau national des écoles d’ingénieurs. Les meilleurs au bac sont ainsi les meilleurs dans les concours. Les soumettre à de nouvelles épreuves équivaut donc à leur faire repasser le bac, ce qui serait sans grande utilité.
Un système trop élitiste
«Toutefois, si nous supprimons les concours, nous aurons d’autres types d’inégalités!» pense le professeur de médecine contacté par L’Economiste (voir article précédent). Sans concours, c’est la note qui scellera l’avenir des bacheliers, et seuls les titulaires des meilleures moyennes seront admis. Nous alimenterons alors un système trop élitiste. «Avoir une bonne moyenne et ne pas être admis en médecine sera vécu comme un drame absolu par les parents, comme cela était le cas auparavant», souligne l’enseignant-chercheur.
Pour lui, il n’existe pas de modèle parfait. La meilleure solution est d’opter pour la «diversité des profils», à travers une multiplication des accès: à partir du bac et du Deug, une partie sur la base de la note, et d’autres via une loterie, à l’instar de certains pays, ou encore en privilégiant les candidats avec une vocation marquée pour le domaine ciblé. «L’idée est de ramener différents profils pour les faire évoluer ensemble», pense-t-il.
Selon Abdellatif Miraoui, les concours «ne servent pas à grand-chose». «Nous les organisons pour donner une chance à tout le monde, mais dans ce souci d’équité, nous créons de l’iniquité», avait-il confié à L’Economiste. Pour lui, l’argent qu’ils accaparent devrait plutôt être investi dans la pédagogie, les activités para-universitaires, des bourses… Cela dit, jusqu’à présent, il n’a pris aucune décision à ce sujet.
Pour le ministre, il est important de prendre à bras-le-corps la question de l’inclusion des étudiants démunis. Néanmoins, pas uniquement en leur garantissant des places dans des cursus d’excellence. L’idéal, selon lui, est de les accompagner, tout au long de leur parcours pour leur offrir les clés de la réussite, idéalement, dès le lycée.
Quand la classe moyenne paie pour la France, l’Allemagne et le Canada!
«Les pauvres paient pour les riches», regrette Ahmed Mouchtachi. La classe moyenne marocaine se saigne pour offrir à ses enfants une éducation de qualité, et des parcours supérieurs prestigieux. Elle investit lourdement dans leur formation, à coup de cours de soutien dans différentes disciplines. En parallèle, elle leur offre des inscriptions dans des centres de langues, des coachings, des séances de préparation aux concours des grandes écoles et des facs de médecine… Et au terme de leur formation, ils quittent le pays vers d’autres destinations.
Ces dernières années, ingénieurs et médecins s’expatrient en masse vers l’Europe, notamment la France et l’Allemagne, et vers l’Amérique du Nord. Ces pays mettent les bouchées doubles pour attirer les meilleurs. Une véritable hémorragie, à l’heure où le Maroc appréhende des chantiers structurants et un large programme de généralisation de la couverture médicale.
Ahlam NAZIH