Ce que l’IA pourrait apporter à la réforme de la santé au Maroc
- Son intégration pourrait favoriser l’accès aux soins
- Tant sur le plan géographique que financier
- Des défis pour lutter contre les disparités sanitaires
Le Maroc s’est engagé dans une réforme complète de son système de santé, basée sur une vision d’inclusivité sanitaire, vient rappeler Dr Rajae Ghanimi, médecin spécialiste en médecine du travail, chercheuse (PhD) en intelligence artificielle appliquée à la santé, auteure de plusieurs livres et articles, présidente fondatrice de l’association Hippocrate-DS. Elle insiste dans son analyse sur l’apport de l’IA dans un pays comme le Maroc, en pleine réforme de son système de santé. Les algorithmes d’intelligence artificielle permettent d’identifier des schémas et des tendances dans les données de santé, mettant en lumière les disparités entre différents groupes de population et entre les zones urbaines et rurales. En soulignant ces inégalités, l’intelligence artificielle peut guider les décideurs politiques dans la concentration des interventions et des actions de santé publique là où elles sont le plus nécessaires.
Dr Rajae Ghanimi, relève en outre, l’efficacité des prestations de soins de santé, grâce à l’automatisation des tâches administratives et chronophages, telles que le triage des patients, la relation avec les organismes gestionnaires de l’assurance maladie et la planification des rendez-vous, permettant ainsi aux professionnels de santé de se concentrer sur des tâches purement médicales. De plus, elle peut améliorer les processus de diagnostic en analysant instantanément et à distance les images médicales (radiologiques, histopathologiques) et les données des patients. Ce qui permet un diagnostic rapide des affections et une amélioration de l’efficacité, tout en soulageant les patients et en restreignant les coûts associés aux soins médicaux.
L’intelligence artificielle, à travers son potentiel de suivi des maladies chroniques via la technologie de l’Internet des objets (IoT), serait capable d’améliorer la surveillance et la prévention des pathologies chroniques, qui s’accaparent de plus de 50% du budget de l’assurance maladie, selon les statistiques de l’Agence nationale d’assurance maladie (ANAM). Dans la bataille persistante contre la tuberculose, par exemple, une épidémie qui maintient son taux d’incidence au Maroc depuis des années malgré les efforts soutenus du ministère de la Santé, l’intelligence artificielle (IA) apporte des avancées significatives en facilitant le diagnostic, en améliorant la détection de la résistance aux médicaments et en renforçant le contrôle de la dissémination des souches résistantes. Grâce à ces progrès, l’IA contribue à prévenir la propagation de formes plus graves de la maladie, représentant ainsi un nouvel espoir dans la lutte contre ce fléau persistant.
Un atout pour les médicaments
L’IA accélère la découverte de nouvelles utilisations pour des médicaments déjà approuvés. Elle permet le développement rapide d’hypothèses, accélérant ainsi les essais cliniques, tout en contribuant à réduire les coûts
Des gains en temps et en efficacité
Pour sa souveraineté sanitaire, le Maroc entend favoriser la production locale de vaccins, de médicaments et de produits de santé. «L’intelligence artificielle émerge comme une force catalytique dans ce contexte, notamment dans l’optimisation du processus de fabrication des médicaments et des vaccins, à travers plusieurs axes stratégiques», précise Dr Rajae Ghanimi. «Tout d’abord, l’IA est cruciale dans la segmentation des patients, l’un des défis majeurs des essais cliniques. Le choix judicieux des patients en fonction de critères tels que l’éligibilité, l’aptitude, la motivation et la responsabilisation est impératif, et ces processus sont souvent grevés de délais significatifs, délais que l’IA est en mesure d’éliminer», ajoute-t-elle. En déployant ces mécanismes, une classification plus efficace des patients devient possible, permettant une administration rapide de traitements appropriés, anticipant les risques potentiels et favorisant des résultats plus favorables. Ensuite, l’IA apporte une automatisation des tâches complexes, entraînant une économie de temps substantielle, notamment dans les premières phases de la recherche médicale. Elle facilite l’analyse des essais cellulaires, la modélisation de la structure moléculaire, la prédiction des propriétés physicochimiques des composés, et d’autres tâches essentielles.
IA en santé: Besoin d’un cadre juridique et une législation adéquate
Le système de santé au Maroc est-il en adéquation avec cette évolution médicale?
«Tout à fait, le développement de la santé numérique au Maroc requiert plusieurs conditions préalables. Il est encourageant de constater que le Maroc figure parmi les premiers pays d’Afrique et de la région Mena à avoir mis en place un cadre juridique pour la pratique de la télémédecine (loi 131-13 publiée en 2015), ainsi qu’une loi sur la protection des données à caractère personnel», fait savoir Dr Rajae Ghanimi. Aussi, dit-elle: «la loi-cadre 06-22 a dédié tout un chapitre (chapitre 8) à la digitalisation du système de santé, incluant le déploiement d’un système d’information hospitalier et d’un dossier médical informatisé partagé. Cependant, ces textes juridiques restent insuffisants, et plusieurs défis demeurent».
Tout d’abord, sur le plan technique, il est indispensable d’avoir un dispositif solide et fonctionnel. Bien que le Maroc dispose déjà d’une quantité considérable de données médico-administratives, celles-ci demeurent disparates, partagées de manière inégale et parfois peu fiables, selon Dr Rajae Ghanimi. L’interopérabilité des systèmes d’information est donc un enjeu majeur. Il est également nécessaire d’établir un cadre juridique solide rendant l’utilisation d’un identifiant national obligatoire pour tous les individus dans le cadre des soins de santé, qu’il s’agisse du numéro de sécurité sociale ou du numéro de carte d’identité nationale, afin de garantir la souveraineté numérique et d’établir des bases de données nationales fiables.
Les défis financiers ne sont pas négligeables, renchérit Dr Rajae Ghanimi. Un Système national des données de santé couvrant l’ensemble des secteurs (public, privé, mutualiste…), coûte généralement cher. Le coût s’élève à plusieurs dizaines de millions de dirhams, incluant l’infrastructure et sa maintenance. Enfin, il est crucial de disposer de ressources humaines qualifiées pour accompagner la transformation numérique.
F.Z.T.